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Intelligence artificielle : comment peut-elle améliorer les workflows en neuroradiologie interventionnelle ?

La neuroradiologie interventionnelle (NRI) consiste à réaliser des actes au niveau de la sphère cérébrale et médullaire de manière mini-invasive en utilisant un guidage par imagerie. On y recourt notamment pour les prises en charge urgentes des accidents neuro-vasculaires (anévrismes cérébraux ou AVC ischémiques en phase aigüe par exemple). La NRI permet de réaliser des interventions complexes de manière très précise, avec des risques minimisés pour le patient et une récupération post-opératoire plus rapide.

La contrepartie pour les professionnels de santé qui y procèdent n’est pas anodine. En effet, l’irradiation à laquelle ils sont exposés pendant un acte interventionnel peut être importante, imposant le port permanent d’un équipement de radioprotection plombé et une vigilance constante. L’optimisation des procédures opératoires est un objectif clé pour réduire l’irradiation des personnels, les durées opératoires et limiter le risque d’erreur. L’intelligence artificielle pourrait s’avérer d’une aide précieuse dans ce but : déjà implémentés dans certains outils d’aide au diagnostic, les algorithmes pourraient, demain, participer grandement à l’amélioration des workflows en NRI. Cela implique qu’ils répondent exactement aux besoins des professionnels de santé, comme le montrent les regards croisés et complémentaires des spécialistes de la santé et du numérique recueillis pour le magazine ARIAS.

ARIAS Magazine

|12/05/2022

Docteur Grégoire Boulouis, neuroradiologue interventionnel, CHRU de Tours

« Au cœur d’un vaste battage médiatique, l’intelligence artificielle (IA) porte de nombreuses promesses et des grands espoirs. Mais quel est le véritable changement en pratique ? Et quel sera-t-il demain ? Par exemple, j’ai pu lire beaucoup de publications sur l’IA dans le domaine de l’hémorragie cérébrale, certaines opposant ordinateurs et humains ou avançant qu’un logiciel est capable de diagnostiquer une hémorragie cérébrale beaucoup plus rapidement que le cerveau humain. Bien qu’il soit vrai que l’IA a permis une automatisation et une optimisation dans la reconnaissance et le traitement des images dans ce cadre, le bénéfice pour le patient reste incertain. En effet, dans la pratique, les patients souffrant d’hémorragie cérébrale à la phase aiguë présentent des symptômes sévères, et sont orientés sur des filières ultra prioritaires avec une analyse en temps réel des images par le neuroradiologue. Ainsi, un diagnostic automatique d’hémorragie cérébrale ne permettra pas d’améliorer les délais de prise en charge, ou très à la marge, contrairement à ce qu’avancent les développeurs de ces solutions.

Dans les faits, à ce jour, il n’y a pas eu de révolution de la pratique neuroradiologique diagnostique ou interventionnelle à proprement parler. Il y a donc encore, à mon sens, un fossé entre les améliorations potentielles et ce qui se passe vraiment dans la réalité, où l’IA est implémentée petit à petit : il y a finalement encore peu d’usages de cette technologie dans notre spécialité.

Néanmoins, l’IA pourrait théoriquement s’avérer très précieuse, pas seulement pour détecter mais pour diagnostiquer, vérifier, faciliter et accompagner. L’espoir est que cela améliorera le système, sa rapidité, le travail des équipes et, par conséquent, le parcours patient. En ce sens, nul doute que notre pratique clinique sera différente dans les années à venir de celle que nous connaissons aujourd’hui. De quelle manière, et dans quelles proportions restent des questions non résolues.

Plus encore, elle pourra être mise au service de l’amélioration des workflows. En effet, l’irradiation en NRI est un réel sujet et, au CHRU de Tours, nous sommes très impliqués dans la radioprotection des professionnels de santé : si des solutions d’IA permettent d’améliorer le déroulé des opérations, cela participe bien entendu à réduire le temps et donc les doses d’exposition des personnels. Une optimisation des flux est d’autant plus prioritaire que nous manquons cruellement d’effectifs en NRI, avec une forte exposition en salle de cathétérisme.

Il faut construire cela de telle sorte que le système offre une simplicité et une flexibilité d’usage et préviendrait les éventuelles perturbations des workflows que nous pouvons rencontrer. »

Dr.-Ing. Markus Kowarschik, Director Innovation, Principal Key Expert, Siemens Healthineers

« Justement, l’IA ne renvoie pas à une application en particulier : c’est plutôt un ensemble de méthodes et de technologies qui aident à intégrer plus d’automatisation dans nos systèmes, à faciliter leur usage et à en améliorer l’efficacité.

Rappelons qu’il y a différents niveaux d’applications potentielles de l’IA déjà mises en pratique dans l’imagerie diagnostique et partiellement encore en développement pour les procédures interventionnelles.

Le premier niveau peut participer à l’amélioration de la qualité des images en diminuant le bruit et/ou en réduisant les artefacts. Certains neuroradiologues utilisent déjà et utiliseront de telles applications, parfois sans même s’en rendre compte.

Un second niveau d’IA peut contribuer à la détection automatisée de structures dans des jeux de données 2D et 3D grâce à une grande variété de tâches d’analyse d’images. C’est cette application de l’IA qui permettra par exemple la détection des hémorragies cérébrales comme évoquée par le Dr Boulouis. Mais cette analyse d’images par l’IA pourrait aussi alerter sur la présence de lésions ou d’anomalies secondaires que le neuroradiologue, focalisé sur la prise en charge de l’AVC du patient, n’aurait pas pu remarquer.

Le troisième et dernier niveau porte sur la manière dont l’IA peut encore, bien que de nombreuses avancées existent déjà dans ce domaine, améliorer les flux de travail du neuroradiologue dans son activité diagnostique mais aussi dans son activité interventionnelle. En particulier, il s’agit de prendre en charge l’environnement organisationnel et structurel pendant la procédure. L’IA permettra notamment la reconnaissance et la gestion en temps réel de la position du personnel médical, des équipements médicaux et des consommables à l’intérieur des salles interventionnelles. Ainsi l’IA pourra prévenir les risques de collisions. Elle pourra aussi réduire l’exposition au rayonnement des personnels et du patient en proposant des emplacements optimisés pour chaque personne et pour chaque équipement présent dans la salle. Au-delà, ces outils pourront offrir une modification du positionnement ou du paramétrage des appareils qui émettent des rayonnements

C’est cette dernière approche, plus complète que les seules tâches d’analyse d’images, qui pourra contribuer à améliorer de manière significative le déroulé des opérations dans la salle de radiologie interventionnelle.

Et pour identifier ces voies d'amélioration, les experts du numérique de Siemens Healthineers travaillent selon une approche très pragmatique avec des cliniciens du monde entier afin de bénéficier de leurs retours d’expérience et de connaître les problèmes auxquels ils sont confrontés.

L’idée est vraiment d’automatiser les tâches les plus fastidieuses et les plus chronophages pour les professionnels de santé afin de faciliter leur pratique professionnelle et d’optimiser les flux de travail. Une fois ces tâches identifiées, nous pouvons développer la technologie et les outils qui les aideront réellement dans leur pratique quotidienne ».